De retour à Douai, avec ARTHUR RIMBAUD, un effaré en Douai (nous sommes allés ensemble à Amiens rendre visite à Ivar Ch'Vavar, Dominique et nous y avons retrouvé le fameux saxophoniste Jean Detrémont), je découvre ce message mail
"Vlaù toudi chele fameuse émioelète qu'ej të dizoé...*
la mouette
Ivar Ch’Vavar[1]
Et l’oiseau clabaudeur aux yeux blonds est
posé tout à coup sur le muret de
granit où les gens s’assoient au-dessus
de la grande plage. Lui bien quillé
sur ses pattes qu’il écarte, à droite et
à gauche tourne le bec dans l’obli
que lumière du couchant ― il s’adonne
à une si méditative écoute ―
qui lui fait cligner les yeux, les fermer ―
tout au fil de chaque voix et de toutes.
Encore capte-t-il ― une brindille
sur la bosse des sables ― le fossile
de celle de Sylvia[2], qui était là
un instant, et qui écrasée sous de
toutes autres se tortille, elle brille
comme un infime mica. Ainsi du
long poème de Berck-Plage il ne reste
qu’un tiret que seule la mouette comme
ell’ ferait d’un ver, pique dans la masse
des voix comprimées comme les sablons.
[1] Poème écrit à la demande de Pierre Vinclair pour son livre La Sauvagerie (éditions Corti).
[2] Il s’agit de Sylvia Plath, qui, de passage à Berck, écrivit le premier poème que, selon son éditeur, elle ait éprouvé le besoin de dire. Poème qu’elle a intitulé Berck-Plage et que j’ai traduit en berckois.
Ivar Ch'Vavar de Charles Mézence-Briseul par François Huglo
« Ce livre est aussi un parcours de poète, de trente années, et il faut bien reconnaître que celui-ci a quelque chose d’héroïque », écrivait Laurent Albarracin dans sa préface à Travail du poème (1979-2009). Il ajoutait : « Les documents réunis dans ce recueil (…) me semblent montrer en plein cette aventure poétique autour de quoi la vie tout entière d’Ivar Ch’Vavar est lovée, parfois douloureusement, passionnément toujours, et en ce sens ils ne sont pas seulement l’à-côté de l’œuvre, son amont ou son autour, ses circonstances, mais le cœur même de ce que celle-ci explore : l’expérience du réel ». Héros, aventure : ces mots signalent une dimension romanesque, particulière en ce que le personnage central est le travail de l’œuvre, sa genèse intime (ses « naissances latentes ») ET sa réalisation matérielle.
L’aventure de Ch’Vavar, héros et inventeur (comme on dit d’un trésor) d’une « Grande Picardie mentale », est à la fois biographique et collective : celle de revues qui ne sont pas seulement supports d’une « force qui va » (à moins d’imaginer un train déroulant ses rails face à lui), mais cette force elle-même, les moyens qu’elle se donne et la forme qu’elle prend. D’où la « rencontre » avec d’autres « travailleurs du poème ». En automne 1997, Charles Mézence-Briseul lance avec des camarades de lycée sa première revue de poésie. C’est ainsi qu’il se lie d’amitié avec Christian-Edziré Déquesnes (qui "invente" & propose trés vite l'expression et le sigle La Grande Picardie Mentale / G.P.M afin de désigner la constellation de l'univers d'Ivar Ch'Vavar), puis Ivar Ch’Vavar (Le Crabe, en picard). « Il me conseille dans mes lectures et mon écriture. Sous son impulsion et celle de quelques autres, je transforme ma revue photocopiée en maison d’édition de poésie contemporaine avec le même nom et réédite en 2004 le fameux livre qui m’avait tant marqué, Hölderlin au mirador et par la suite d’autres textes de Ch’Vavar ».
Avant d’expérimenter à la fois la poésie, le revuisme, et l’édition, Ivar enfant avait lu Hergé « et tous les Jules Verne (au moins vingt-cinq) de la bibliothèque de l’école ». Fondations romanesques, puis à la fois romanesques et poétiques avec Hugo, que lit Ch’Vavar avant de découvrir Rimbaud, Verlaine, Mallarmé : la poésie sur les ruines de la foi perdue par le « premier du catéchisme ». À15 ans, il crée sa « première revue, Sang et Rictus (manuscrite, un seul exemplaire) ». Circulation entre écriture et lectures : Les chants de Maldoror, Clair de terre, Nadja, Le Grand Meaulnes. Formation d’un groupe surréaliste au lycée en 1968. En 1972, il partage avec son jeune oncle, Konrad Schmitt, la musique de Franck Zappa et « Hash-LSD-mescaline ». Lectures : Bataille, Debord. En 1977, il entre au comité de rédaction de la nouvelle revue amiénoise In’hui, animée par Jacques Darras et Pierre Garnier. 1978 : publication du premier livre en Belgique, Kémin d’krèq / Chemin de crête, bilingue picard-français, cosigné par Konrad Schmitt. 1983 : avec K. Schmitt, Hélène Crimet et Martial Lengellé, il participe à la revue belge 25 Mensuel, animée par Françoise Favretto qui éditera plusieurs de ses livres. Le groupe se déclare « pour un punkisme rural ». 1986 : avec Cadavre grand m’a raconté : la poésie des fous et des crétins dans le Nord de la France, il « trouve enfin sa voie et sa voix (ses voix ?) » et fonde avec Martial Lengellé L’invention de la Picardie : six numéros qu’il réalisera seul jusqu’à la fin en 1989. Il fondera Le jardin ouvrier en 1995, assurera seul la réalisation et la diffusion. Principaux collaborateurs : Alin Anseeuw, Stéphane Batsal, Rüdiger Fisher, Christophe Petchanatz, Lucien Suel. Puis viendront Laurent Albarracin, Louis-François Delisse, Charles Pennequin, et à partir de 2000 : Pascale Gustin, Christophe Manon, Olivier Domerg, Nathalie Quintane, à partir de 2003 Philippe Blondeau. Décembre 2003, numéro 39 et dernier du J.O. Ch’Vavar « donne la liste des 128 contributeurs de la revue (y compris les hétéronymes !) ». 2005 : lancement de L’Enfance, nouvelle revue dont Claire Ceira prendra la direction en 2006. Les rencontres se prolongent dans des échanges épistolaires, sur papier puis par courriel, avec François Leperlier dès 1973, Lucien Suel à partir de 1986, et dans les années 1990-2000 avec Stéphane Batsal, Laurent Albarracin, Yves di Manno, Charles-Mézence Briseul, Florence Trocmé, Christophe Tarkos, Philippe Jaffeux, Pierre Vinclair qui nourrira, développera et partagera ce dialogue en lui donnant la forme d’un essai majeur : Le chamane et le phénomènes : la poésie avec Ivar Ch'Vavar.
Sous le titre « Mother Picardia », Briseul suggère une fusion entre le groupe de Franck Zappa « Mothers of invention » et la revue ch’vavarienne « L’invention de la Picardie ». Édité par Le jardin ouvrier en 1988 et Le Corridor Bleu en 2004, Hölderlin au mirador, « vaste épopée de vingt-sept chants en vers de onze mots », relate « les pérégrinations amoureuses, psychédéliques, esthétiques et politiques d’une bande d’adolescents dans un Pas-de-Calais rural crépusculaire ». Aventures, comme celles de Tintin ou de héros de romans : « Les horribles travailleurs », titre donné par Briseul à son développement sur le J.O., fait référence à Rimbaud mais aussi aux Travailleurs de la mer, roman hugolien particulièrement cher à Ch’Vavar. « Destin de la poésie » et destin de la Picardie sont liés : il s’agit de « surmonter » un « déclin », et d’écrire une « post-poésie », une poésie « après la mort de la poésie », qui dans Cadavre grand m’a raconté formera « autant une série étonnante de tentatives littéraires qu’un panorama amoureux et parodique de la poésie contemporaine ».
On s’accordera avec Briseul quand il voit dans « le jeu des je » ouvert par les hétéronymes (22 dans la première édition, 80 dans la deuxième, une centaine dans la troisième) la manifestation du « talent, méconnu, de romancier de Ch’Vavar », un talent qui pouvait être décelé dans les aventures du groupe surréaliste de Montreuil, celles, mystico-sexuelles, d’Evelyne « Salope » Nourtier, celles des bandes d’adolescents de Hölderlin au mirador ou d’autres feuilletons, voire celles, où chacun joue son propre rôle, des « camarades » des revues ou de la correspondance.
L’épopée ch’vavarienne est moins un roman en vers qu’un roman du vers, de ses aventures. « Le vers est un effort au style », écrit Ch’Vavar dans le droit fil de Mallarmé, en un « texte-témoin » cité dans le « choix de textes » qui suit la présentation de Briseul, la bio-bibliographie, et la liste des ouvrages disponibles. « Martial Lengellé, Lucien Suel ont commencé à compter les signes (…). Ivar Ch’Vavar s’est avisé pour sa part de compter les mots, créant ce vers que Jean-Pierre Bobillot a appelé arithmonyme ». La référence à Mallarmé revient dans Travail du poème : « La poésie vise à la saturation, au remplissage complet de la page, mais pas comme la prose, qui le fait mécaniquement. Non, la poésie est toujours en vers, et toujours plus ». Ch’Vavar précise le mot « page » par une note : « Ou d’une partie de la page. Mallarmé n’accorde tant d’importance au blanc que pour mieux encadrer le poème, mieux l’enfermer, et aussi faire ressortir, par le contraste, sa densité ».
Idiotie et sexualité, « pauvre d’érotisme » précise Briseul, sont des moyens de plonger « le groin dans le réel » qui « gagne toujours sa bataille contre notre tentative de le nommer et de le chanter ». L’image ch’vavarienne est le lieu de ce combat : « elle ne peut se tolérer elle-même, c’est chien et rat dans le même sac ». Le lecteur est partie prenante, et c’est à travers cette activité que, pour Ch’Vavar s’entretenant avec ses camarades du « cercle du Caret », une poésie populaire est possible et nécessaire. Cette nécessité « a à voir avec l’idée d’indétermination, mise en avant récemment par Florence Trocmé sur Poézibao : l’indétermination laisse le chantier du poème ouvert (au lecteur) et fonde la poésie comme entreprise (et histoire) collective». À la com et aux harangues démagogiques, qui massifient pour mieux asservir, Ch’Vavar oppose la résistance exemplaire, contagieuse, d’un peuple qui s’invente : d’un cercle ouvert où s’expérimente, démocratiquement, la poésie « faite par tous ». Une politique de l’amitié.
En 1995 Ivar Ch’Vavar trouve (comme sur son chemin) un titre, Hölderlin au mirador. Ce titre n’a pas de signification (et n’en a pas encore trouvée, après vingt-cinq ans) mais Ivar Ch’Vavar le prend
comme un signal, celui qui lance la grande entreprise dont il rêve : écrire un poème au long cours sans rien en savoir d’avance, courant sa chance en prenant tous les risques, y compris celui de l’échec.
Toutes règles seront abolies, sans parler des « convenances ». Mais deux options sont prises :
• que le poème soit marqué d’un esprit collectif ;
• qu’il soit fortement oral et musical : qu’il puisse être porté par la voix.
Cependant, il faut qu’il fasse entendre un son vraiment nouveau, et pour cela Ivar Ch’Vavar va l’écrire dans un mètre radicalement arythmique, qui oblige à remettre la musique en jeu à chaque pas ; non seulement pour l’auteur, mais le lecteur aura à son tour à « interpréter » le texte un peu comme une partition, et qui dit « interprétation » dit qu’il aura, ce lecteur, des choix à faire, une difficile liberté à assumer.
Ce mètre, c’est le vers arithmonyme, déterminé par le nombre des mots (tous les vers de Hölderlin au mirador ont onze mots).
Nous espérons donc que cette troisième édition, présentée avec chaleur par Yves di Manno, sera l’occasion pour le poème de trouver avec de nouveaux lecteurs, de nouveaux proférateurs.
- 4iéme de couverture.
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