Reçu de Bruxelles, aujourd'hui, un film dvd et un superbe livret de 16 pages
Le Poète et le forgeron
En 1870, Arthur Rimbaud, 16 ans, quitte sa
ville natale, Charleville, qu'il déteste, et fugue à travers la
vallée de la Meuse jusqu'à Charleroi. Cinq de ses plus célèbres sonnets
ont probablement été écrits au cours de ce périple qui aboutira à
Bruxelles. Patrick Talercio s'embarque sur ses traces pour rendre compte
de la vie d'une région, marquée par la prospérité de
l’industrialisation et le déclin qui a suivi. Une invitation poétique et
politique à un voyage dense qui interroge avec intelligence les luttes
ouvrières aujourd'hui.
Dès les premières minutes, le réalisateur lie le parcours de Rimbaud aux mouvements sociaux qui ont régulièrement lieu dans cette région, suite à sa désindustrialisation et sa lente transformation en vallée verte dédiée au tourisme. Parti en train de Charleville pour rejoindre la Belgique, le trajet est en effet interrompu par des ouvriers qui ont bloqué les voies et menacent de déverser de l'acide dans la Meuse. Le dialogue sera incessant entre la révolte intérieure, individuelle du poète et celles des nombreux personnages que Talercio rencontre et questionne. Chaque étape est l'occasion de raconter une histoire, et le train devient le lieu privilégié de rencontres où se disent les difficultés, les espoirs, la mémoire d'un passé révolu et qui drape cette contrée d'une tristesse nostalgique. La lecture des poèmes par certains intervenants, redonnent un éclat, une proximité avec ces sonnets d'un autre temps. La parole, centrale dans ce projet, circule sans cesse, la voix-off du réalisateur rythmant également avec force ces récits, entre commentaires et récitations des sonnets. Ce va-et-vient incessant entre proximité et distance, entre paroles d'aujourd'hui et mots passés créent une temporalité particulière comme lors de cette magnifique scène où des images d'époque sont projetées sur les murs d'une cité de HLM. Le passé glorieux des fonderies, des carrières et des industries ardoisières est toujours confronté à la violence du présent, celle des fermetures d'ateliers, celle des agences d'intérim, des promoteurs immobiliers et des urbanistes. Rimbaud, devenu logo, est à son tour aspiré par la machine capitaliste.
La richesse du propos est transcendée par un sens du cadre assuré et frontal révélant des images de toute beauté telle cette scène filmée entre des flammes ou ce plan magnifique d'une manifestation dans un village où des militaires croisent une fanfare, mondes définitivement séparés. Le montage complexe entrelace avec harmonie et pertinence les différents niveaux de discours et pratique également un art de la digression : poétique comme la séquence du « Dormeur du val » où le célèbre poème, figuré par un mannequin en plastique, émeut par la seule déclamation du texte en off et un raccord sublime sur la dépouille d’un sanglier; ou politique, comme cet enchaînement fulgurant de 3 plans - Sarkozy au château des Windsor, une femme qui remet en place sa robe de valseuse, un forgeron travaillant le fer - réaffirmation d’une lutte de classes toujours aussi cruelle.
Cette fugue au cœur d’un pays dévasté mais toujours debout parvient à unir émotions et réflexions avec un talent rare qu’il faut découvrir sans tarder.
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