vendredi 24 novembre 2023

CLAIR DE TERRE - 4 poèmes d'ANDRE BRETON, rappel-anniversaire du recueil de CLAIR DE TERRE, paru en 1923, proposé par Ivar Ch'Vavar. Illustration sonore avec une lecture d'Alice Lewis.

 


Clair de terre 

 Ivar Ch’Vavar, 22 novembre 2023.

Chers Amis, Camarades,

on fête ces jours-ci le centième anniversaire de la parution de Clair de terre, d’André Breton, paru en novembre 1923. Je me suis procuré ce livre en janvier 1967, premier contact avec Breton. Allaient suivre Nadja, les manifestes, Les Pas perdus, l’Anthologie de l’humour noir...

Beaucoup de filles et de garçons de ma génération ont été marqués par ces livres. – Je ne vous sers pas le couplet sur l’image qu’on donne aujourd’hui de Breton...

On fête cet anniversaire ? Je le fête, en tout cas, en vous adressant quelques pages du livre.

Bien fraternellement,

Ivar


Le Buvard de Cendre

Racoleur paradis n’est pas perdu

Plutôt La vie

Tournesol

 

LE BUVARD DE CENDRE

 

à Robert Desnos

 

Les oiseaux s’ennuieront

 

Si j’avais oublié quelque chose

 

Sonnez la cloche de ces sorties d’école dans la mer

Après Jésus-Christ que nous appellerons la bourrache pensive

 

Sur commence par donner la solution du concours

Un savoir combien de larmes peuvent tenir dans une main de femme

1° aussi petite que possible

2° dans une main moyenne

 

Tandis que je froisse ce journal étoilé

Et que les chairs éternelles sont entrées une fois pour toutes en possession du sommet des montagnes

J’habite sauvagement une petite maison du Vaucluse

 

Cœur lettre de cachet


 

TOUT PARADIS N’EST PAS PERDU

 

à Man Ray

 

Les coqs de roche passent dans le cristal

Ils défendent la rosée à coups de crête

Alors la devise charmante de l’éclair

Descendre sur la bannière des ruines

Le sable n’est plus qu’une horloge phosphorescente

Qui dit minuit

Par les bras d’une femme oubliée

Point de refuge tournant dans la campagne

Dressée aux approches et aux reculs célestes

C’est ici

Les tempes bleues et dures de la villa baignent dans la nuit qui décalque mes images

Chevelures chevelures

Le mal prend des forces tout près

Seulement voudra-t-il de nous


PLUTOT LA VIE

 

 

Plutôt la vie que ces prismes sans épaisseur même si les couleurs sont plus pures

Plutôt que cette heure toujours couverte que ces terribles voitures de flammes froides

Que ces pierres blettes

Plutôt ce cœur à cran d’arrêt

Que cette mare aux murmures

Et que cette étoffe blanche qui chante à la fois dans l’air et dans La Terre

Que cette bénédiction nuptiale qui joint mon front à celui de la vanité totale


Plutôt la vie

 

Plutôt la vie avec ses draps conjuratoires

Ses cicatrices d’évasions

Plutôt la vie plutôt cette rosace sur ma tombe

La vie de la présence rien que de la présence

Où une voix dit Es-tu là où une autre répond Es-tu là

Je n’y suis guère hélas

Et pourtant quand nous ferions le jeu de ce que nous faisons mourir

Plutôt la vie

 

Plutôt la vie plutôt la vie Enfance vénérable

Le ruban qui part d’un fakir

Ressemble à la glissière du monde

Le soleil a beau n’être qu’une épave

Verser peu que le corps de la femme lui ressemble

Tu songes en contemplant la trajectoire tout du long

Ou seulement en fermant les yeux sur l’orage adorable qui a nom

Ta Main

Plutôt la vie

 

Plutôt la vie avec ses salons d’attente

Lorsqu’on sait qu’on ne sera jamais introduit

Plutôt la vie que ces établissements thermaux

Où le service est fait par des colliers

Plutôt la vie défavorable et longue

Quand les livres se refermeraient ici sur des rayons moins doux

Et quand là-bas il ferait mieux que meilleur il ferait libre oui

Plutôt la vie

 

Plutôt la vie comme fond de dédain

Un cette tête suffisamment belle

Comme l’antidote de cette perfection qu’elle appelle et qu’elle craint

La vie le fard de Dieu

La vie comme un passeport vierge

Une petite ville comme Pont-à-Mousson

Et comme tout s’est déjà dit

Plutôt la vie

 

 


TOURNESOL

 

à Pierre Reverdy

 

La voyageuse qui traversa les Halles à la tombée de l’été

Marchait sur la pointe des pieds

Le désespoir roulait au ciel ses grands arums si beaux

Et dans le sac à main il y avait mon rêve ce flacon de sels

Que seule a respiré la marraine de Dieu

Les torpeurs se déployaient comme la buée

UA Chien qui fume

Où venaient d’entrer le pour et le contre

La jeune femme ne pouvait être vue d’eux que mal et de biais

Avais-je affaire à l’ambassadrice du salpêtre

Ou de la courbe blanche sur fond noir que nous appelons pensée

Le bal des innocents battait son plein

Les lampions prenaient feu lentement dans les marronniers

La dame sans ombre s’agenouilla sur le Pont au Change

Rue Gît-le-Cœur les timbres n’étaient plus les mêmes

Les promesses des nuits étaient enfin tenues

Les pigeons voyageurs les baisers de secours

SE joignaient aux seins de la belle inconnue

Dardés sous le crêpe des significations parfaites

Une ferme prospérait en plein Paris

Et ses fenêtres donnaient sur la voie lactée

Mais personne ne l’habitait encore à cause des survenants

Des survenants qu’on sait plus dévoués que les revenants

Les uns comme cette femme ont l’air de nager

Et dans l’amour il entre un peu de leur substance

Elle les intériorise

Je ne sont le jouet d’aucune puissance sensorielle

Et pourtant le grillon qui chantait dans les cheveux de cendre

ONU soir près de la statue d’Étienne Marcel

M’a jeté un coup d’œil d’intelligence

André Breton a-t-il dit passe


lundi 6 novembre 2023

L' agonie de la puissance (choix de phrases de Jean Baudrillard (1926 - 2007) par B.W.) - Photo de François Trinel et illustration musicale : Nino Ferrer.

« On a affaire aujourd’hui à un autre type de révolution que les révolutions historiques qui nous ont précédées — une révolution véritablement anthropologique : celle d’une perfection automatique de l’appareil technique et d’une disqualification de l’homme, dont il n’a même plus conscience. Au stade hégémonique de la technique, qui est celui de la puissance mondiale, l’homme perd non seulement la liberté, mais l’imagination de lui-même. Il se retrouve dans un chômage qui dépasse de loin celui du travail, un chômage mental et existentiel, par substitution de cette machinerie qui le domine. » « Stade ultime d’un monde qu’on a renoncé à interpréter, à penser ou à imaginer, pour le réaliser, pour l’instrumentaliser objectivement. (…) C’est un monde qui n’a plus besoin de nous. Le meilleur des mondes n’a plus besoin de nous. (…) Dessaisissement de l’homme et de sa liberté. Disqualification de l’homme au profit d’un automatisme, d’un transfert massif de décision sur l’appareil de calcul informatique. Capitulation symbolique, défaite de la volonté, beaucoup plus grave que n’importe quelle défaillance physique. » « Là où ne fonctionnent plus ni le contrat traditionnel, ni le pacte symbolique ni l’universel, ni le particulier, se noue brutalement une forme qui a tout d’un complot, au sens où tout le monde en est involontairement complice – mais dont le partage ne repose sur rien, sur aucune valeur, sinon celle d’une autodéfense délirante, répondant à une perte d’immunité totale de l’imaginaire. Car, en fait, le virus est une « cosa mentale », et si la contagion peut être aussi foudroyante, c’est que les immunités mentales, les défenses symboliques sont depuis longtemps perdues. C’est sur cette liquidation que peut s’installer un espace panique, dont fait partie à un autre titre, tout le système informatique mondial, système de réseaux et de diffusion instantanée – un espace non-euclidien, là aussi, où toutes les contre-mesures rationnelles, préventives, prophylactiques se retournent presque automatiquement contre elles-mêmes par leur excès même. La sécurité elle-même devient le meilleur medium de la terreur. »
Jean Baudrillard (1926 - 2007) - L’Agonie de la Puissance.