vendredi 12 mars 2021

Les Lettres du voyant

Aprés ces deux passages, en 1870,  à Douai,  Arthur Rimbaud ne va jamais y venir à nouveau, cependant de Charleville, il poste vers Douai, les 13 et 15 mai, deux courriers que l'histoire a retenu sous le nom de Lettres du voyant ; la première, courte, adressée à Georges Izambard, la seconde à Paul Demeny.

Dans ces deux courrierss Arthur Rimbaud s'explique sur sa démarche poétique du moment et de celle à venir. D'abord il y développe une critique radicale de la pratique poétique telle qu'est posée chez les occidentaux depuis l'Antiquité, il y présente une nouvelle vision, approche de la poésie qui reléve pour lui d'une expérience qui a quelque chose d'extraordinaire, de surhumain. 

La première lettre, adressée à Georges Izambard, contient le poème Le Coeur Supplicié dont je le rappelle l'ancien professeur de Rimbaud, en réponse, fera un pastiche. C'est aussi dans cette lettre que l'on voit pour la première fois apparaître la formule Je est un autre qui est depuis trés souvent cité lorsque que l'on évoque Arthur Rimbaud.

...Maintenant, je m'encrapule le plus possible. Pourquoi ? Je veux être poète, et je travaille à me rendre Voyant : vous ne comprenez pas du tout, et je ne saurais presque vous expliquer. Il s'agit d'arriver à l'inconnu par le dérèglement de tout les sens. Les souffrances sont énormes, mais il faut être fort, être né poète, et je me suis reconnu poète. Ce n'est pas du tout ma faute. C'est faux de dire : Je pense : on devrait dire on me pense . - Pardon du jeu de mots.

   Je est un autre. Tant pis pour le bois qui se trouve violon, et Nargue aux inconscients, qui égortent sur ce qu'ils ignorent tout à fait !...

La seconde lettre,  adressée à Paul Demeny, contient les poèmes Chant de guerrre parisien (qui évoque directement La Commune qui secoue alors Paris), Mes petites amoureuses et Accroupissements.  Elle développe les différents aspects d'orientation de sa création poétique. Il s'explique tout d’abord la désormais célèbre formule Je est un autre, apparentée à une démarche de dédoublement de soi qui aboutit à un processus de création ; puis il s'y présente comme un voleur de feu au travers d’une réflexion autour d'une la pratique d'une langue poétique, comme outil d’une démarche qu'il désire essentiellement repensée, rénovée, plus même : neuve.

La lettre commence par la formule : Je est un autre. Cette proposition affirme, annonce un discour qui énonce les utilités d’une démarche poétique qui passe par des expériences extrêmes conduisant presque à la folie. Je est un autre défend  une mise en action poétique dans mise à distance du soi-même de l'ordinaire, d'ailleurs dans le premier paragraphe, les expressions qui suivent, évoquent clairement cette dynamique volontaire de dédoublement : j’assiste à l’éclosion de ma pensée,...  je la regarde,... je l’écoute... ;  enfin, la mise en chantier  que le poète s'impose à lui même , comme l'exprime la formule le poète se fait voyant (Rimbaud aurait pu écrire devient voyant mais, d'emblée,le verbe  faire  est plus prompt que devenir, à mettre en évidence ce travail poétique actif et conscient). Pour Rimbaud, ce dédoublement est un moyen d’accéder à un autre univers, un univers inconnu dont la découverte est le fondement d’une quête artistique absolue et novatrice. 

L’annonce  : je dis qu’il faut être voyant,  est ici,  chez Rimbaud,  une affirmation indiscutable qui montre bien le côté conscient et volontaire de sa démarche, un aspect d'une mise en chantier que vient renforcer  l'utilisation de l’adjectif  raisonné  paradoxalement  associé  au terme dérèglement, démontre que ce qui je joue pour Arthur Rimbaud n'est pas un oisif exercice passif et spontané.  Il énonce aussi que c'est une expérience morale, mentale et psychologique à travers l’expression toutes les formes d’amour, de souffrance, de folie  et l’emploi de l'adjectif  criminel ;  c'est l'aveu de conscéder au refus de toute norme de comportement, le poète adopte et défend sa posture novatrice dans une marginalité revendiquée, ce mode mode de vie devenant la justification de la cause qu’il défend, celle de vivre en poésie ; ainsi avec l'acceptation de toutes ces conséquences que cela implique, témoigne le poète devient un créateur, à la fois, merveilleux et diabolique.

Arthur Rimbaud défend la nécessité de la création d’un nouveau langage poétique, au-delà de toute forme de norme et de convention jusqu'alors de régles en poèsie, il l'énonce en écrivant au sujet du terme générique académicien : plus mort qu'un fossile. Rejet de la norme donc aussi bien pour l'expérience humaine que pour l'écriture.

Dans le dernier paragraphe, Rimbaud fait référence explicite à Baudelaire, dont il a qu'il est le premier des Voyants, à travers l’évocation des fameuses correspondances : Cette langue sera de l’âme pour l’âme, résumant tout, parfums, sons, couleurs. Cette idée des correspondances sera d’ailleurs reprise par Rimbaud en écrivant, composant,  Couleur des voyelles , parlant, là, à l’âme, traduisant l’inconnu et s’adressant à tous les sens à la fois, en cohérence avec le dérèglement de tous les sens évoqué précédemment. Pour la poésie, Arthur Rimbaud fait sauter toutes les freins de l’académisme, afin d’ouvrir l’accès à la nouveauté, à l’originalité, à la richesse créatrice. Enfin, ce langage nouveau répond également bien sûr à la nécessité de transcrire l’expérience extraordinaire dans laquelle il s'engage et évoquée au début de la lettre, ainsi que celle à Georges Izambard

Rimbaud dans ces lettres exprime son enthousiaste  au travers de phrases exclamatives et de l'utilisation du futur, temps en conjugaison de la certitude. Il est a noté pourtant que l’emploi du futur n’est pas total : il laisse place parfois au conditionnel, ce qui indique un doute chez Arthur Rimbaud quant à la possibilité de mener l’expérience à son terme, de la réussir.

Ce que contienne ces lettres, de manière originale et prémonitoire, correspond assez précisément à l’expérience poétique de Rimbaud lui-même.  Le dérèglement de tous les sens  s’apparente à la fois aux multiples expériences de sa vie et à son itinéraire poétique, qui sont inséparables.

 

 

 

 




 

 

 

 


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